28 décembre 2007

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La faillite nous voilà !

La faillite nous voilà !

L’argument est déjà ancien, mais régulièrement mis au goût du jour. Pour justifier le démantèlement des services publics, qui ont le tort de continuer à porter projets républicains et références collectives, pour ouvrir au capitalisme de nouvelles conquêtes coloniales sur le continent des droits et intérêts universels, pour réduire la contribution aux dépenses communes des plus grosses fortunes, des expressions telles que la « dette publique », « le train de vie de l’Etat », « l’abyssal déficit » ou encore, pour citer l’actuel premier ministre, « la faillite du pays », sont régulièrement mobilisées par les dirigeants politiques ou leurs laquais des médias.

La moindre et la plus professionnelle de nos revendications se heurte à cette apparente évidence que la situation exige des restrictions drastiques des dépenses publiques et que plus rien n’est possible dans un tel contexte. Curieusement, cet argument devient moins pertinent lorsqu’il s’agit de racheter, par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations, les actions EADS de Lagardère avant qu’elles ne s’effondrent. Il est en revanche copieusement utilisé pour supprimer des emplois de fonctionnaires ou bloquer leurs rémunérations. Il prend parfois une tournure qui sort de l’argumentation rationnelle lorsque un porte-parole stipendié du MEDEF ou du gouvernement entreprend de nous faire pleurer sur la charge que nous laissons ainsi à nos enfants et aux générations futures. Un tel argumentaire pose en réalité plusieurs questions : quelle est la réalité de cette dette ? quelles en sont les véritables causes ? faut-il chercher à y remédier et comment ? que lèguerons-nous réellement à nos enfants ?

Le propos n’est pas ici de nier la réalité de l’endettement de notre pays, ni la gravité de cette situation. On peut toutefois observer que la communication sur ce thème noircit le tableau en ajoutant à la véritable dette, c’est-à-dire aux emprunts contractés pour financer les déficits publics et sociaux des exercices passés ou en cours, des dépenses prévues dans les années à venir, telles que les pensions des fonctionnaires. Or si ces dépenses devront évidemment être réalisées, elles le seront dans le cadre d’un budget comportant également des recettes et aucune charge financière ne pèse aujourd’hui sur elles. C’est comme s’il était de la plus haute importance de bien faire entrer dans les crânes, y compris en recourant au mensonge, la fameuse « faillite de l’Etat » ! Cela dit la dette « pure » est suffisamment importante pour être traitée sérieusement pour elle-même. Au budget de l’Etat 2007, le service de la dette représentait 40,9 milliards d’euros, soit 12% des dépenses, environ la moitié du poste « Enseignement et recherche » et presque autant que le déficit initialement prévu à 42 milliards. Il est clair qu’une telle somme aurait pu être consacrée à d’autres besoins. Cela dit, il ne convient pas d’exagérer la situation : la limite des 60% du PIB, imposée aux Etats de l’UE pour leur endettement par les traités européens, n’a été franchie qu’en 2003 et on ne peut pas dire que ces accords soient particulièrement laxistes en matière de dépenses publiques. La situation est certes sérieuse, mais n’a rien de catastrophique. Réduire cette dette pour la ramener à ce que l’Europe libérale juge « acceptable » est un enjeu à la portée de notre économie.

Contrairement à ce que prétend le discours dominant, l’origine de l’ampleur de la dette n’est pas liée à des politiques trop dépensières. Il n’y a, en France, ni « trop d’Etat », ni « trop de protection sociale ». La première cause des déficits sociaux comme de celui du budget de l’Etat est d’abord une insuffisance de recettes. Les cotisations sociales, conçues à la libération comme un salaire socialisé des travailleurs, subissent d’abord le niveau élevé du chômage dans la population active et les exonérations massives de cotisations pour les employeurs, décidées au nom de la lutte contre ce même chômage, mais qui n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité, si ce n’est à accroître les bénéfices des entreprises et les dividendes des actionnaires. Il en va de même des recettes de l’Etat qui, de diminution du taux marginal des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu en « bouclier fiscal », n’ont cessé de diminuer ces dernières années pour les plus hauts revenus et les plus grandes fortunes. Les politiques suivies, tant par l’actuel gouvernement que par les précédents visent à réduire d’abord les recettes pour justifier ensuite, au nom du déficit ainsi organisé, les coupes claires dans les dépenses publiques. C’est précisément cela qui rend la dette insupportable, puisque au lieu de déboucher sur l’intérêt commun et des investissements au service de tous, elle n’est causée que par l’enrichissement de quelques uns qui en sont les triples bénéficiaires : des revenus financiers et immobiliers plus importants du fait des diverses exonérations, ils sont moins imposés et peuvent, directement ou à travers des portefeuilles composites, devenir, par le biais des emprunts d’Etat, les premiers créanciers de la dette publique. Ces mêmes privilégiés bénéficient également de la politique monétariste de la banque centrale européenne à qui a été concédé le privilège régalien de la monnaie : les taux d’intérêts élevés et un cours de l’euro surévalué par rapport au dollars garantissent leurs économies et leurs créances tandis qu’ils pénalisent ceux qui doivent emprunter pour vivre, qu’il s’agisse des particuliers ou des Etats !

Lister les causes permet d’envisager les remèdes. Rendre aux salariés les salaires socialisés dont ils sont spoliés par les exonérations de cotisations patronales et mener une vraie politique de l’emploi, c’est-à-dire qui vise réellement à faire reculer le chômage et non à satisfaire une clientèle électorale représentée par le MEDEF, est de nature à donner au système de protection sociale les moyens de faire face à ses missions, aujourd’hui et demain. L’Etat doit être là un exemple et un moteur : cela implique qu’il augmente son budget au lieu de le restreindre. Les besoins existent : logements, éducation, santé, justice, répression des fraudes, etc. En conséquence, avec ou sans dette, mais a fortiori avec, il convient d’augmenter ses recettes, en retrouvant l’esprit de l’article 13 de la Déclaration de l’homme et du citoyen de 1789 : que chacun contribue aux dépenses publiques à « raison de ses facultés ». Une politique monétaire européenne moins favorable aux rentiers et moins oppressante pour ceux qui vivent du revenu de leur travail, même au prix de quelques points d’une inflation d’autant plus facilement maîtrisée que les réserves financières des possédants sont conséquentes, allégerait également le poids de la dette publique comme celui de l’endettement des particuliers. Sans compter qu’une politique de relance par la consommation des ménages aurait des effets positifs sur la croissance mesurée et diminuerait donc le poids relatif des déficits, et donc de la dette, par rapport au PIB.

La question de « l’héritage » mérite qu’on s’y arrête, mais pas exactement dans le sens voulu par les auteurs de cette imposture. Car en terme de legs, il convient de tout mettre dans la balance : les dettes ne sont inacceptables que lorsqu’elles dépassent la valeur des biens réellement transmis. Que pèserait la dette publique si nous léguons, outre les trésors du patrimoine national, des œuvres artistiques et architecturales aux réalisations technologiques et scientifiques, une société de justice et de liberté, une véritable démocratie, un système éducatif de qualité dont nul ne serait exclu, une société où chacun aurait sa place, pourrait se loger, se nourrir, se vêtir, se soigner, se sentir en sécurité, se déplacer, disposer de temps libre pour sa famille, les loisirs, et participer à la vie civique. C’est bien là que le bât blesse : au nom d’un endettement qui ne profite qu’à quelques uns, c’est tout ce patrimoine que l’on est en train de brader.