20 mars 2012

Sections départementales

QUE CACHE LE PAQUET SOUS SON JOLI RUBAN ?

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Cet article n'est probablement plus d'actualité

La section départementale de l’Ardèche a débuté un travail sur les Environnements Numériques de Travail (ENT) et en particulier sur le cahier de texte numérique, obligatoire depuis cette rentrée dans les collèges et les lycées. Etat des lieux sur une pratique loin d’être anodine.

La plupart des établissements fonctionnent avec un ENT aux fonctions multiples et souvent mal connues des enseignants et des parents d’élèves. En effet, que l’établissement fonctionne sous Sconet ou Pronotes, ces ENT mêlent des données qui sont parfois accessibles à tous, sous condition d’un mot de passe : cahier de texte, appel, relevé de notes, bulletins.
Ils sont aussi utilisés pour la gestion de l’établissement puisque les informations collectées lors de l’inscription des élèves sont intégrées dans les ENT, parfois sans que les parents en aient connaissance.

Loin d’être transparente, l’utilisation des ENT fait craindre plusieurs dérives.

Le premier problème concerne le choix de l’ENT.
En Ardèche, les établissements utilisent souvent Sconet, l’ ENT gratuit « officiel » de l’Éducation Nationale, d’autres ont choisi Telescol pour les notes, et le cahier de texte Lemaitre, gratuits, en plus de Sconet . Le secteur privé se fait une part belle avec Pronote ou Campus : l’utilisation des deniers publics devient alors contestable, d’autant que les CA ne sont pas toujours bien informés de ce qu’ils valident comme achat ou convention.

Le second concerne le droit des élèves ...
... puisqu’un ENT sert à la fois comme « base élèves », de calendrier scolaire, pour la gestion financière, le contrôle des absences, l’affichage des notes etc.... On peut vanter la bascule et les extractions faciles des données entre l’école, le collège, le lycée, le post-bac, jusqu’à sortir du milieu scolaire pour aller vers les missions locales, pour les élèves décrocheurs. La question est donc de savoir comment sont verrouillés les logiciels, protégées et conservées les données : si les données « élèves » des écoles sont supprimées dès le passage au collège, elles peuvent rester archivées pendant 15 ans, délai « raisonnable » validé par le Conseil d’ État. Que dire du Livret Hirsch, auquel serait intégré le LPC 3e, qui a, potentiellement une durée d’existence de … 42 ans + la scolarité ! Cette banalisation du traitement des données personnelles est-elle démocratiquement acceptable ?

Une autre dérive concerne les parents.
Ceux-ci se sentent rassurés (contrôle des devoirs et des notes…), mais cette nouvelle manière de s’impliquer dans l’école est biaisée, puisque basée avant tout sur la méfiance et la surveillance à distance des enfants et des enseignants. De plus, aucune réflexion n’a été menée par l’institution : Qui sont les parents intéressés ? Que faire de la fracture numérique ? Quel est le niveau d’équipement des familles ? Quelle prise en compte des conflits d’usage et des choix éducatifs des familles dans ce domaine ? Quelles perspectives pour la construction d’une relation éducative de confiance dans un système de « flicage en temps réel » des jeunes ? Aucun système de code d’accès par identifiant n’est acceptable s’il ne différencie pas celui de chacun des parents, et de chaque enfant d’une fratrie.

La dernière dérive concerne les enseignants.
Elle est multiforme :

En dehors des aspects matériels (manque de postes sur le lieu de travail …) se pose la questions majeure du changement de nature des relations de travail : individualisation de la relation avec l’administration, alors que se profile l’évaluation par les hiérarchies locales, fracture des solidarités, qui n’est pas sans enjeu syndical, glissement d’une part importante de la charge de travail sur le domicile, transfert de charges (comme l’impression des documents), sans compter la mise en place, pourtant très encadrée par la CNIL, d’une communication directe avec des élèves mineurs (par blog, mail, réseaux sociaux...), impossible sans accord écrit des parents. Ce dernier point est très délicat puisque l’enseignant est responsable des propos tenus par ses élèves sur un blog créé à son initiative !

Si le problème des droits d’auteurs est réel, ils ne protègent pas les cours, jugés moins aboutis qu’un ouvrage. En tant que tel, le cours reste la propriété de l’employeur. Pour autant, leur publication sur internet pose problème : qui peut se dire à l’abri dans ce domaine ? Quel enseignant est sûr de ne jamais utiliser et donc publier une œuvre protégée ? C’est le chef d’établissement qui a alors la responsabilité, en tant que directeur de publication, de protéger les écrits des enseignants. Quelle protection en « milieu ouvert » ? Aucune.

La question des données personnelles accumulées reste problématique : tout détenteur de fichiers doit faire une déclaration normale et simplifiée ou une déclaration de conformité à la CNIL et personne n’est couvert par l’autorité de tutelle, ministère ou chef de service. L’enseignant détenteur d’un fichier (les données personnelles de la classe dont vous êtes professeur principal par exemple) est sous-traitant et donc responsable.

Les ENT sont, on le voit, loin d’être seulement un outil de modernisation des pratiques : ils initient surtout une autre manière de travailler, en classe ou seul devant son écran. C’est un autre rapport à l’école qui se crée avec les parents et les élèves. Mais c’est surtout un problème en terme de fichage de données concernant la vie publique et privée des élèves et des enseignants.

Gilles Petrod, Jacky Mabilon