23 mars 2018

Retraite et Protection sociale

Les solidarités au cœur du modèle social (2)

Actes du colloque du 25 janvier 2018
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Historique et évolution


Corinne BAFFERT, secrétaire générale du SNES de Grenoble accueille les deux intervenants nationaux, Benoît TESTE, co-secrétaire général du SNES et Frédéric PIERRU, universitaire et sociologue, spécialiste des politiques de Santé. Elle rappelle les objectifs de la Commission académique Actifs-Retraités puis présente le contexte des attaques de Macron, en particulier contre l’Éducation nationale et la Fonction publique. Elle explicite le choix de la thématique des solidarités en lien avec la Protection sociale qui est aussi dans le viseur du Président et de son gouvernement.
Marie-Laurence MOROS introduit le colloque sur la notion complexe de solidarité dont la conception et les formes sont très variées ( voir 1 - Introduction ).

Historique des solidarités collectives

1°) Sociétés de secours mutuels et mutualité

Benoît Teste évoque les corporations qui, au Moyen-Âge, répondent déjà à un besoin d’entraide. Dans une France régie par la loi Le Chapelier depuis 1791 ( interdisant les corporations mais aussi toute association ouvrière ), les sociétés de Secours mutuel, issues du mouvement ouvrier, naissent au XIXème siècle face à la misère ouvrière ( versement d’indemnités en cas de maladie, chômage, grève ) et à l’État qui ne fait rien.
Le Second Empire favorise ces organisations afin de lutter contre la maladie mais aussi dans le but de maintenir l’ordre social.
L’État républicain vote en 1898 la Charte de la Mutualité qui organise un système libéral ( d’assurance-vie, retraites, œuvres sociales et secours temporaires ) et sans but lucratif. La Mutualité se développe énormément.
Des tensions apparaissent entre la Mutualité et le mouvement syndical. Pour la CGT, la protection sociale n’est pas prioritaire. Les salariés doivent se battre sur leurs salaires. En 1910, est adoptée la 1re loi sur les Retraites Ouvrières et Paysannes. La CGT s’y oppose : la retraite est prévue à 65 ans et à cet âge-là beaucoup d’ouvriers sont déjà morts. Elle rejette le principe des cotisations car cela diminue les salaires. Par la suite, les cotisations seront pensées comme un salaire socialisé* ( et non comme un salaire différé** ).


* Le salaire socialisé ( ou mutualisé ) est formé par l’ensemble des cotisations sociales, dites salariales et patronales, pour répondre aux besoins des salariés face à la maladie, la maternité, la retraite, l’invalidité, au chômage ou aux charges familiales… Les actifs d’aujourd’hui financent les retraites d’aujourd’hui.

** On parle de salaire différé quand les salariés « récupèrent » à la retraite leurs propres cotisations versées durant leur vie active. Ce système n’est pas solidaire.

Les lois d’Assurances sociales de 1928 et 1930 protègent les salariés contre les risques sociaux. Mais elles ne couvraient pas les fonctionnaires et, notamment, les enseignants qui ont largement développé leurs propres mutuelles. Elles se regroupent pour former, en 1945, la MGEN ( Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale ). C’est la FEN ( Fédération de l’Éducation Nationale ), dominée par les instituteurs, qui crée la MGEN. Elle est en pointe sur la protection sociale élargie. Elle crée des centres de Santé et les progrès médicaux sont accessibles. Actuellement cette mutuelle s’éloigne de ces buts.

2°) Plusieurs modèles de Protection sociale ( fin XIXème siècle et début XXème siècle )

Frédéric Pierru se présente comme un partisan du 100 % Sécu : il veut partir à la reconquête de la Sécurité Sociale.
En s’appuyant sur un diaporama ( en pdf ), il poursuit l’historique ( en précisant que, dans les nations européennes, la notion de solidarité apparaît dans le dernier quart du XIXème siècle ). L’industrialisation monte en puissance et la société doit s’autoréguler. Le libéralisme a besoin d’un État fort qui organise le marché, même en période de crise ( crise des années 30 et crise actuelle comparables par certains aspects ). Il faut accompagner l’émergence de l’État social.
Au XIXème siècle et actuellement, il existe des manifestations d’autodéfense contre les lois du Marché. En France, l’État Providence naît en 1898 avec les lois sur les accidents du travail et le mutualisme.
Selon la place du Marché dans la société, on peut dégager trois « mondes de l’État social » avec des systèmes différents de Protection sociale :

  • Quand l’individu, entrepreneur de lui-même, est au cœur de la société, c’est le système libéral résiduel. Il est assistantiel, destiné aux pauvres, avec un financement fiscal.
  • Quand c’est le citoyen qui est au cœur de la société, c’est le modèle social-démocrate ou scandinave ou beveridgien, ( couverture universelle, financement fiscal ).
  • Quand le travailleur en tant que membre d’un collectif professionnel est au cœur de la société, c’est le modèle bismarckien, financé par les cotisations sociales ( donc financement contributif ). Selon notre intervenant, c’est un modèle corporatiste et conservateur ( « le mâle bosse, la femme est à la maison » ). L’homme assure la vie de la famille. Cela interpelle sur la place de la femme dans le travail et dans la société.

Les notions de solidarité traversent toutes les sociétés :

  • 1944 : déclaration de Philadelphie ( Constitution de l’OIT, Organisation Internationale du Travail ), généralisation de la protection sociale ( « extension des mesures de sécurité sociale en vue d’assurer un revenu de base à tous ceux qui ont besoin d’une telle protection, ainsi que des soins médicaux complets » ).
  • 1945 : Sécurité sociale en France

3°) De la naissance de la « Sécu » en France

Pierre LAROQUE, haut fonctionnaire gaulliste et Ambroise CROIZAT, ministre communiste, veulent rompre avec l’assistance mais ne sont pas d’accord sur tout. Le premier est favorable au social financé par l’impôt, le second par les cotisations salariales et patronales. En 1945, le plan de Sécurité sociale est un mixte entre beveridgien et bismarckien :

  • Des droits adossés au travail, financés par des cotisations sociales, et non des aides conditionnelles.
  • Une double solidarité pour la branche Maladie : riches / pauvres et bien-portants / malades → « Chacun paie selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».
  • L’universalité ( généralisation progressive de la Sécurité Sociale à l’ensemble de la population ) et contre le ciblage.
  • La démocratie sociale, les organismes de Sécurité Sociale gérés par les représentants de salariés ( 75 % dans les conseils d’administration, et patrons seulement 25 % ). À l’origine, ça n’est pas du paritarisme ( 50 % salariés et 50 % patrons ) qui, lui, n’est pas à défendre. La « Sécu » doit être gérée indépendamment de l’État.
  • Un régime unique de Sécurité sociale qui doit être mis en place, le même pour tout le monde ( rôle du CNR, Conseil National de la Résistance ). Mais les agriculteurs, les indépendants, les fonctionnaires - qui gèrent leurs propres caisses d’assurances – refusent. → Échec dès le début.

4°) Évolution de la Protection sociale

  • La gestion des caisses de Sécurité sociale a évolué : plus d’élections des représentants des salariés en 1967 ( fin de la démocratie sociale ).
  • À partir des années 80, le financement de la Sécurité sociale a évolué : aujourd’hui 2/3 provient des cotisations, le reste de la fiscalisation croissante ( famille, maladie ). Depuis 1991, le Parlement vote le budget des dépenses d’assurance maladie avec une enveloppe globale ( PLFSS* et ONDAM** ) → l’AMO ( Assurance Maladie Obligatoire ) ne couvre plus que 50 % des dépenses de soins courants.
  • Les prestations de « secours » sous conditions de ressources se multiplient. Retour en force des pratiques assistantielles et durcissement des critères d’accès aux prestations, souvent lié à des comportements (« assistanat »)
  • Dualisme : assurance / fiscalité et privatisation rampante ( maladie : vers les complémentaires et les familles / retraites : vers les assurances privées ).

* PLFSS : Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale

** ONDAM : Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie

Exposé de Frédéric PIERRU

Débat


  Comment réagir, se faire entendre pour rétablir la démocratie sociale ?

  Pourquoi pas de formation des nouveaux enseignants sur ces questions de protection sociale ?

  La tendance n’est-elle pas d’échapper par le travail autonome au caractère obligatoire de la Sécu ?

  Doit-on seulement défendre 45 ? Ne faut-il pas faire d’autres propositions ?

  Les crises ne sont pas tout à fait identiques en 1930 et aujourd’hui

  En 1945, il n’y avait pas forcément consensus entre gaullistes et communistes mais le rapport de forces est favorable aux ouvriers ( patronat collaborateur ).

  Il faut défendre un projet solidaire sur les retraites, mais l’unité syndicale est très difficile et l’éclatement syndical ne rend pas les choses très lisibles

Réponses


B. Teste :

  Nécessité pour notre organisation syndicale de donner de la lisibilité à ces questions et de construire un projet solidaire alternatif qui soit audible et crédible. C’est compliqué.

F. Pierru :

  La Sécurité sociale n’est pas une question technique. Il faut repolitiser le débat, en clarifier les termes et éviter les slogans incantatoires.

  Il faut s’interroger sur la centralité du travail dans la société : proposition de revenu universel de Benoît Hamon répondant à la raréfaction du travail ?

  Débat de société à mener sur le rôle des « partenaires sociaux » mais quelle place des usagers ou des acteurs associatifs ?

  La restauration n’est pas une politique : il faut travailler à la conquête de droits nouveaux.

Corinne Baffert :

  Oui à de nouveaux projets ; rôle du congrès académique dans la réflexion à mener.

  Annonce de la journée unitaire des salariés des EHPAD ( Établissement d’Hébergement des Personnes Âgées Dépendantes ) du 30 janvier.

Plusieurs intervenants :

  Prendre la richesse là où elle est, dans l’entreprise. Défendre les cotisations sociales qui sont du salaire et s’opposer à la fiscalisation croissante avec la CSG ( Contribution Sociale Généralisée ).

  Débat à situer aussi dans le cadre de l’égalité hommes-femmes.

Nouvelles réponses de F. Pierru :

  Pauvreté de la réflexion syndicale → La question centrale n’est pas celle du financement de la Sécu par les cotisations contre la CSG mais :

  Protection sociale et postulat d’une croissance indéfinie ?

  Comment fait-on pour inventer les solidarités du XXIème siècle ?