8 décembre 2020

Nos métiers

Evaluation des établissements : défendons le service public

Un cinquième des établissements de l’académie est concerné par une nouvelle évaluation cette année, malgré la crise sanitaire. Instituée par la loi « Pour une école de la confiance », cette évaluation rajoute un tour de vis à la politique néolibérale de destruction du service public d’éducation.

La démarche d’évaluation des établissements scolaires voulue par J.-M. Blanquer figure dans la loi « Pour une école de la confiance » de juillet 2019. Le Conseil d’évaluation de l’école a été installé officiellement fin juin 2020 et a publié des travaux début juillet.

Il est prévu un comité consultatif dont les organisations syndicales représentatives devraient être membres, mais qui à l’heure actuelle n’a pas été réuni.

La démarche est prévue en deux temps : une autoévaluation suivie d’une évaluation externe.

Tout se passe comme si une certaine administration continuait aveuglément son travail comme si la gestion de la crise sanitaire ne bouleversait pas les établissements. Un cinquième des établissements doit être évalué cette année, malgré la demande de report liée au contexte sanitaire.

L’auto-évaluation vise à faire porter à l’établissement la responsabilité des difficultés rencontrées.
À la fin de l’auto-évaluation il n’y a que des engagements de l’établissement et une déstabilisation des personnels : mieux accompagner l’orientation des élèves, mieux prendre en compte la difficulté, augmenter les taux de passage et taux de réussite aux examens, mieux accueillir les élèves de bac pro en STS, prévenir le décrochage…

Comme pour les contrats d’objectif, implicitement, peut-être sans s’en rendre compte, les personnels s’engagent à réaliser des « progrès » mais ni le rectorat, ni l’éventuelle collectivité territoriale ne s’engagent en termes de moyens en personnels ni en dotation de fonctionnement.

Par ailleurs, l’auto-évaluation peut être un outil de déréglementation au nom de l’adaptation au « local ». Le but est d’attribuer les moyens non plus sur la base de textes nationaux objectifs mais sur celle de la « valeur ajoutée » à apporter sans que l’on sache de quoi il s’agit. Cette politique néolibérale est également mise en œuvre dans celle de la destruction de l’éducation prioritaire avec la suppression des REP et l’expérimentation de contrats locaux d’accompagnement dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille.

Le SNES-FSU s’est toujours opposé à ces logiques qui n’ont rien à voir avec la nécessité de faire des diagnostics comme de fixer à tous les établissements, sur tout le territoire, des objectifs ambitieux.

Le SNES-FSU appelle à refuser cette démarche, à alerter les personnels sur ces dangers et à ne pas laisser cette autoévaluation aux chefs d’établissement, mais bien à la vider de ce qu’elle pourrait avoir de dangereux pour l’établissement.

Combattre sur le fond

Ce dispositif d’auto-évaluation est l’illustration parfaite du nouveau management public (NMP). Une vieille martingale qui a 50 ans et qui ne fonctionne pas pour améliorer le service public, mais qui fait beaucoup souffrir les travailleurs.

Nous sommes ici d’abord dans la variante « participative » du NMP.
Il s’agit, comme si de rien n’était, de faire valider une critique de la lourdeur de l’administration ou des fonctionnaires en tant que corps, qui empêcheraient les initiatives locales.
Il faut augmenter l’autonomie locale des acteurs, alléger les contrôles, faire participer les agents à la réforme (les faire « adhérer »).
Un des enjeux essentiels est la « redevabilité » à l’égard des usagers (« bon usage des fonds publics », « accountability »-rendre des comptes). L’argument est souvent celui de la « qualité du service public » (discours sur le « service rendu au public » ; « chartes de l’usager », etc.).

La variante « participative » est très dangereuse parce qu’elle peut flatter les personnels. Ils peuvent se laisser berner par ce visage avenant du management.

L’auto-évaluation « participative » est aussi un outil pour mettre fin à la maîtrise par les professionnels de leurs métiers , faire cesser leur véritable autonomie. L’auto-évaluation sert à améliorer le contrôle de l’appareil administratif par des techniques de rationalisation aux mains des administrations centrales et du pouvoir politique. Typiquement, le « management par la performance » : objectifs ; cibles ; indicateurs ; contractualisation des moyens.

Il n’y a qu’une contradiction de façade entre « contrôle », et « participation » : plus d’autonomie au local en théorie, donne l’auto-évaluation qui devient une forme de « reporting » qui se transforme en exigence descendante de « bonnes pratiques » ou de « performance ».
D’ailleurs l’auto-évaluation, c’est écrit, doit avoir pour utilité de modifier projets d’établissements ou contrats d’objectifs. Et si des Conseil d’administration s’y opposent, l’auto-évaluation restera de toute façon l’outil « coconstruit » qui pourra légitimer des injonctions à changer sa manière de travailler.
Chaque personnel, à l’aboutissement de la démarche d’auto-évaluation collective, sera sommé de s’auto-appliquer la logique institutionnelle de modification de son travail et sera invité à ne pas en rester au cadre réglementaire.

L’auto-évaluation s’inscrit parfaitement dans le projet global du NMP de transformation du service public d’enseignement par une mutation profonde du contrôle de l’administration. Traditionnellement, le contrôle est « ex ante » pour garantir une administration exigeante et traitant à égalité les usagers (recrutement par concours sur la base d’un haut niveau de qualification) et ce contrôle porte aussi sur la régularité de l’activité (conformité aux textes réglementaires, respect des programmes nationaux).
Le NPM, dont l’auto-évaluation participe, impose un contrôle « ex post » fondé sur le contrôle des résultats, des coûts, de l’ « efficience » (Puisque le gouvernement supprime les Psy-EN, avez-vous bien pris part à l’orientation des élèves même si ce n’est pas votre métier ?).

Une conséquence assumée dans l’auto-évaluation qui est proposée aux établissements est de participer à la destruction du caractère national du service public d’éducation. Chaque EPLE, comme s’il était un établissement privé est invité à développer son « caractère propre » !

Agir partout

1. STOP ! Nous sommes exténués. Poursuivre ce type de démarches dans le contexte actuel sanitaire et d’épuisement de l’ensemble des personnels est une maltraitance de l’institution.
Les équipes s’épuisent à évaluer les risques sanitaires et mettre en place (collectivement et comme ils peuvent) des solutions vivables sanitairement et pédagogiquement, elles ont autre chose à faire que de répondre à ces injonctions de technocrates, à cette nouvelle arme magique qui permettrait de soigner tous les maux du système éducatif.

2. Communiquer auprès des établissements pour essayer de faire comprendre que derrière la façade « co-construction » fort sympathique il y a un piège : il leur est demandé de dire eux-mêmes tout ce que l’administration devra exiger d’eux. Il s’agit du même esprit que la contractualisation ou les politiques de projets où on fait semblant de prendre en compte les besoins locaux pour en fait faire porter toutes les responsabilités aux acteurs locaux.

3. Dénonciation du management. Bien entendu on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « Participatif ! Participatif ! Participatif ! » mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien quand le participatif est piloté par le chef d’établissement et que lois après lois, circulaires après circulaires les personnels sont muselés, pas écoutés, voire criminalisés (action syndicale).

4. Renverser la puissance de l’adversaire sur lui-même : là où cette « auto-évaluation » se met en place et s’impose, les équipes pourraient en profiter pour faire apparaître les manquements de l’État et demander réparation pour faire réussir les élèves : rétablissements d’horaires d’enseignements, d’enseignements, la présence de personnels (orientation, santé scolaire, vies scolaires…) sur toute la semaine…

5. Il s’agit d’un dispositif administratif qui ne se présente pas immédiatement comme un outil de pilotage de l’EPLE donc le Conseil d’administration ne peut pas l’interdire. Il peut toutefois, dans la logique du point 4, voter des vœux de soutien aux exigences des personnels et dénoncer la démarche. Commencez par assumer VOS responsabilités, pourraient dire les Conseils d’administration à l’État.

6. L’auto-évaluation est un acte de l’établissement conduit sous la responsabilité du chef d’établissement. Il devrait donc être présenté au moins pour information au Conseil d’administration. Il ne peut s’imposer à l’EPLE qui n’a pas obligation de l’intégrer au projet d’établissement ou au contrat d’objectif.

Le SNES-FSU appelle donc les personnels à demander un temps banalisé pour ce processus d’auto-évaluation. Ce sont nous qui y travaillons, donc il est inacceptable que nous laissions la main sur cette auto-évaluation aux chefs d’établissement. Le rapport d’autoévaluation doit pointer tous les manquements de moyens en termes de moyens, de fonctionnement des établissements.

Refusons de nous plier à la logique du NMP et à la mise en concurrence des établissements que ce processus implique et prenons la main pour porter nos revendications et défendre le service public !